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Interview with Maria Xypolopoulou
Space 52 Grece, 2023


Nous aimerions que vous nous fassiez découvrir l’univers étrange, hétéroclite et féérique de votre peinture. D’où vous vient l’inspiration pour les images de vos œuvres ?

Je regarde les ouvrages de médecine, d’anatomie, de planches naturalistes, les cabinets de
curiosités, les miniatures et les enluminures de la renaissance, la Nature Morte, le Romantisme, la littérature fantastique… J’utilise des images trouvées sur internet ou des photos de mes proches. Ce qui m’intéresse c’est les croisements, le glissement d’un genre à l’autre, d’emmener une photo de mes nièces dans un univers du 17ème siècle.


Votre première ou l’une des premières séries d’œuvres est Cramps (2007) où vous abordez le body-building et les stéréotypes de la masculinité avec une humeur sarcastique. Nous aimerions en savoir plus sur cette série.

Je venais de lire « Body » de Harry Crews, un de mes auteurs préférés. J’ai peint cette série à partir des photos des 5 derniers Mister Olympia sur format jésus et avec de la peinture à maquette couleur bronze. Il y a un côté absurde dans cette série. Le body-building est l’une de ces entreprises personnelles qui a pour seul but le culte de sa propre image. Je n’y vois là que la stérilité d’un amour qui tourne autour de soi au risque d’en devenir son propre monstre.

Cependant, les figures féminines sont les personnages principaux de votre travail. Dans la série d’œuvres Les poupées (2013), vous créez les portraits de neuf poupées avec leurs têtes tournées dans la direction opposée. Comment se fait ce choix ?

Ce n’est pas moi qui ai mis les poupées de dos. J’ai fait ces portraits à partir de poupées trouvées sur un site de vente en ligne. De dos les poupées ont une double nature, morte et vivante à la fois, et j’ai l’impression qu’on regarde, ou qu’on avance avec elles dans le noir.

Dans les portraits, une partie de l’identité est généralement mise en avant, le beau côté de soi, mais vous vous concentrez sur un côté de plus subversif, le côté faible, le drôle. Vous vous rapprochez de la condition humaine. Qu’est-ce qui vous intéresse de communiquer à travers ces portraits ?

C’est drôle, j’ai l’impression d’être à l’opposé de la condition humaine, d’être loin du vivant. J’ai plutôt l’impression de lisser, de nettoyer, de protéger, de faire tout pour rendre mon travail « insondable ».

Vous abordez même la mort avec humour. D’autres fois une dimension à la fois macabre et poétique prévaut dans votre travail. Qu’est-ce qui vous a amené à aborder ce sujet ? Quel rôle l’humour joue-t-il pour vous dans votre travail ?

L’humour noir dans mon travail c’est peut-être une manière de désacraliser un travail qu’on
prend un peu trop au sérieux !


Si on y regarde de plus près, il y a des motifs qui reviennent à de nombreuses œuvres, comme les cheveux, l’œil et l’oiseau. Que signifient-ils pour vous ?

Peut-être les reliques de quelques fantômes ?

Vous traitez souvent des sujets communs en sculpture et en peinture. A quels besoins artistiques et expressifs chaque pratique artistique répond-elle pour vous ?

C’est complémentaire. Tous ces éléments construisent ensemble des scènes. Parfois un objet, un médaillon par exemple, pourrait être un accessoire porté par un personnage dans une peinture.

Tant en peinture qu’en sculpture on remarque que vous choisissez de réaliser vos œuvres en petites dimensions. Il y a un esprit de discrétion, comme pour défier le spectateur de prendre son temps, de s’approcher de l’œuvre et de la découvrir progressivement. Y a-t-il vraiment une fonction dans la sélection de la petite échelle ?

C’est vrai que je peux avoir un rapport assez intimiste, voire fétichiste aux objets. Je suis touchée par les miniatures, l’effacement du geste derrière la précision d’un orfèvre que demande une peinture au format photo d’identité. Mais il peut m’arriver de faire quelque chose de grand si ça a du sens, ou si c’est le décor d’une installation.


La Beauté de la Mort
Juliette Fontaine, 2019


 Je postule pour une éventualité. Marion Auburtin croit aux fantômes. Non pas aux revenants désaxés, tout autant désarticulés que déments, sortis d’un film de George A. Romero. Pas du tout. Elle croit à des fantômes subtils, très ambivalents, assez doux sous leur cape d’invisibilité, qui pourraient flotter autour de la phrase vertigineuse d’Albert Einstein : « La distinction entre le passé, le présent et le futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle ».
De de mon point de vue, les êtres qui habitent l’univers de l’artiste sont indubitablement lunaires. Ils sont nocturnes, féminins et parfois innocemment démoniaques. Plutoniens. Des méduses. Des sirènes. Des divinités de la mort. Pourquoi pas. Mais sans en avoir l’air, sans le vouloir. Elles sont dénuées de malignité et d’arrogance parce qu’elles ne souhaitent pas nous impressionner, ni nous effrayer, étant elles-mêmes peut-être le véhicule intraduisible de l’inconscient de l’artiste. Quelque fois, elles semblent se demander ce qu’elles font là, encadrées, entoilées, baignées d’huile inodore. Dans une aisance immobile, un peu contrainte, très inédite. Certaines ne se doutent pas qu’elles sont des passeuses vers le milieu inconnu de la vallée de la mort. Elles peuvent faire traverser la frontière à qui voudrait tenter de comprendre ce mystère fondamental. Elles restent silencieusement au bord de cette limite, parfois en nous tournant le dos. Et si elles avançaient vers le fond de la toile, nous aurions sans doute envie de les suivre pour les ramener à nous, comme la tentative magnifique et désespérée d’Orphée.
La beauté de la mort chez Marion Auburtin n’est pas tout à fait celle de Baudelaire. Pas assez moite. Pas assez pourrissante. Sous le pinceau incisif de l’artiste, les corps, même lorsqu’ils sont ouverts, restent lisses et délicatement parfumés. Devant les toiles Emma ou À fleur de peau, nous ne sommes pas devant la « charogne infâme », ni devant la « femme lubrique / Brûlante et suant les poisons ». Au contraire, nous sommes en présence d’une puissance naturaliste propre et raffinée, digne de l’Ange anatomique d’Agoty. Néanmoins, l’univers de l’artiste n’est pas radicalement lointain de l’esthétique de la laideur caractéristique du poète. Leurs deux démarches seraient difficilement concevables sans une fonction à mes yeux essentielle, celle de l’oxymore. Le mal, la laideur ou la représentation de la mort n’ont pas une existence autonome mais ils sont intimement liés à leur opposée, la perfection néoplatonicienne de l’Idéal de la Beauté.


Marion Auburtin, peintre du duende

Stéphane Corréard, 2015

Jamais peut-être un pinceau ne s'est-il tant apparenté au scalpel que dans les mains de Marion Auburtin. Qu'elle peigne un cadavre les tripes à l'air, une chevelure de poupée ou des rapaces nocturnes naturalisés, c'est toujours avec la précision d'un entomologiste, et le détachement d'un médecin légiste. Récemment, elle s'est même mise à peindre sur cuir, cette peau salée, dessalée, reverdie, pelanée, écharnée, épilée, confite, picklée puis tannée. Chacune de ces minutieuses opérations, Marion Auburtin les a intégrées dans sa pratique picturale, dégrossissant, rongeant, grattant, curetant, décapant, essorant, polissant son sujet jusqu'à ce qu'il se révèle « à fleur de peau », à cette frontière ténue du vivant et du non-vivant, ou plutôt dans cette persistance du vivant dans la mort (et de la présence épiphanique de la mort dans le vivant) qui est le sujet exclusif de son art. Michel Leiris sommait qu'on considérât la littérature « comme une tauromachie », tandis que le flamenco est usuellement décrit comme « une danse avec les tripes » : les deux fusionnent dans la notion de duende, qui dans la culture populaire hispanique désigne autant les « démons domestiques » qu'un « charme mystérieux et ineffable ». L'ambivalence n'a pas échappé à Federico Garcia Lorca, qui y forgea sa métaphore poétique : le duende s'engendre de la lutte du corps avec un autre corps qui y est tapi, et gît endormi dans ses viscères (« c’est dans les ultimes demeures du sang qu’il faut le réveiller », écrit-il). L'artiste est celui qui ne craint pas de réveiller le duende ; dans la lutte qui s'ensuit, logique et sens s'évanouissent, cédant la place à un érotisme total : « le duende aime le bord de la plaie et s’approche des endroits où les formes se mêlent en une aspiration qui dépasse leur expression visible ».Fidèle à cet esprit, Marion Auburtin transforme la peinture en un pays « où la mort (est) le spectacle national ». Catherine, Suzanne, la « soupirante », la « morte amoureuse » et la « noyée », mais aussi le « damné », son peuple d'autopsiés, la mine apaisée, reposée voire extatique, le corps nu bien découpé sur des fonds vibrants d'or et de sable (en terminologie héraldique), offre béatement au regardeur ses entrailles, quelque part entre « Étant donnés... » et le « Dahlia Noir », là où tout commence et tout finit : « Et si l’on savait scruter les entrailles, à qui donc feriez-vous croire que vous avez des entrailles ? Vous semblez pétris de couleurs et de bouts de papier collés ensemble » (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra).***

L’âge adulte du kitsch
Sophie Delpeux, 2015


Les objets reçus en héritage encombrent souvent. Il est difficile de se débarrasser d’eux, par mauvaise conscience ou attachement réel. Mais leur intégration pose tout autant problème : dans leur nouvel environnement, le nôtre, ils sont comme déplacés. Infiniment familiers car toujours connus ailleurs, parfois convoités, ils prennent à la maison une dimension funeste et rappellent sans discontinuer les absents. Le phénomène est d’autant plus frappant que des objets plutôt guillerets, anodins, produits en série, kitschs en un mot, prennent un accent grave pour celui qui sait, celui qui est lesté de son deuil. 
Ainsi des petites collections d’oiseaux de porcelaine que Marion Auburtin peint, autrefois propriété de ses grands-parents, réagencées maintenant au domicile de ses parents. Le protocole qu’elle suit pour produire ces représentations mérite d’être révélé : l’artiste ne peint pas d’après modèles mais d’après des photographies réalisées par ses parents. Ce sont plusieurs regards qui se superposent sur ces objets au sein de la même peinture, la lignée familiale apparaît en filigrane, de même que le funèbre lié aux petites figurines : le fond sur lequel elles sont posées est noir. En transformant la porcelaine fine en peinture plate avec sa manière économe (peu de détails, matité), Marion Auburtin choisit de ne pas exploiter entièrement le mignon de ses modèles. Elle en produit une vision dialectisée : attitude qui lui évite la violence du jugement de valeur ou la captation par la séduction. Et c’est bien là, entre la terre et le ciel, que se trouve celui qui a hérité de l’objet. 


extrait de "La vie des êtres morts"
Sophie Delpeux, 2013


Marion Auburtin cherche la ressemblance et la neutralité. Elle ne pratique pas la peinture en virtuose, non plus qu’elle ne la malmène. Elle fait le choix conscient d’un entre-deux. Le point d’équilibre vers lequel elle tend tient à la fois de la copie appliquée et du double effrayant. Ses oiseaux émergent d’un fond noir comme de la nuit, mais les modèles qu’elle choisit sont tous depuis longtemps refroidis ; ici empaillés, alignés au rang de trophées et de curiosités prenant la poussière. Marion Auburtin démultiplie par la peinture leur pouvoir anxiogène et leur redonne un regard, animant ainsi l’inanimé à jamais. Si la mort est omniprésente dans son travail, elle n’est pas la fin mais, selon ses termes « un lieu de passage vers un ailleurs », à l’image des pupilles de cette société d’oiseaux. Pupilles qui donnent l’impression inquiétante de pouvoir encore refléter leur spectateur. 

Le cabinet des curiosités
Sinziana Ravini, 2011

 
Le monde est un cabinet de curiosités. Il faut le classer et le réorganiser tout en préservant son mystère. Face à l’imagerie de Marion Auburtin, qui fourmille de femmes amputées peintes sur des cadres de broderie, d’amulettes aux micropeintures d’oiseaux de proie, de retables en miniature couverts d’insectes resplendissants, de peintures de souris disséquées, de bibelots aux gémeaux siamois, on éprouve à la fois de l’horreur et de la fascination. Ces objets ne deviennent pourtant jamais abjects, ne nous entraînent jamais vers ces lieux où la signification fait faillite. Les miniatures imposent un rapport intime avec l’objet, un regard de microscope qui nous transforme en géants avides d’un savoir volé, car tout cabinet de curiosités implique également un refus du savoir, une fétichisation de l’objet décontextualisé, coupé et réorganisé dans un discours purement « exotisant », et par là même violent. Attirée à la fois par la peinture de la Renaissance et les films noirs, les planches d’études médicales et l’iconographie religieuse, les objets de cultes divers et les vanités, Marion Auburtin ne fait que suivre la logique de l’autopsie, qui étymologiquement parlant signifie « regarder soi-même ». Si l’histoire de la médecine est une histoire de l’oeil, l’histoire de l’art est celle d’un regard sélectif. Car les gens regardent ce qui les regarde. Or il faut parfois fouiller des recoins, ceux qui n’arrivent pas à nous regarder en face. Dans le théâtre anatomique de Marion Auburtin, les cadavres transpirent une insolite beauté, car dépourvue de frontières précises entre l’art et la science. Il fait référence à l’inquiétante étrangeté de la cire anatomique de la Renaissance. Ce qui intéresse Marion Auburtin est ce moment ambigu, où l’on ne sait pas si le corps est devenu objet ou s’il s’agit d’un « corps-sujet » endormi que la mort n’a pas encore envahi. Ces
images cadavériques de morts-vivants flottent dans des espaces abstraits, ornés d’arabesques dorées ou de mosaïques alambiquées. Ce n’est pas pour rien que le syndrome de Stendhal est lié à Florence, cet espace archi géométrisé, influencé par les ornements hypnotisants de l’Orient. Auburtin met en jeu une dialectique entre « ouvrir » et « fermer », « protéger » et « déchirer », car l’amour et la haine ont toujours été les deux faces de la même médaille. Comme Georges Didi-Huberman l’explique dans Ouvrir Vénus, un roman policier métaphysique sur « l’anatomisation » du corps de la femme chez Botticelli et la Renaissance italienne, l’artiste est à la fois l’orfèvre et le bourreau de Vénus. Marion Auburtin ne se contente pas d’ouvrir le corps féminin. Elle s’acharne avec la même férocité sur le modèle anatomique, l’image du bodybuilder ou l’animal écorché. Marion Auburtin possède un grand éventail d’influences. Son esthétique « gothicoromantique » trouve son inspiration à la fois chez Holbein et Cranach, les Préraphaélites, le Werther de Goethe, La Morte amoureuse de Théophile Gauthier, Suspiria de Dario Argento ou La Foire aux Serpents de Harry Crews.
 

Pan!
Marianne Brausch 
Land Kultur, Luxembourg, 2009


Pénombre, ambiance feutrée quasi muséale, telle est l’atmosphère actuellement au centre d’art Dominique Lang à Dudelange. C’est un excellent choix pour mettre en valeur le travail de peintre de la jeune Marion Auburtin, qui y expose une vingtaine d’oeuvres, des petits formats éxécutés avec la précision et la minutie que recquiert de la peinture traditionnelle (peinture à l’huile ou aquarelle).
Que donne à voir cette jeune femme née à Metz en 1978, très active depuis son diplôme d’arts plastiques en 2002 et que les amateurs de la Grande Région ont déjà pu découvrir à l’occasion de plusieurs expositions collectives dans sa ville natale, Metz, ainsi qu’à Saarebruck? Sans oublier sa résidence d’artiste dans le cadre de «Sentiers Rouges» en 2007 au grand-duché.

Un monde en apparence entièrement tourné vers l’univers des hommes, comme en témoigne une arme à feu qui accueille les visiteurs et aussi une balle de revolver ou de fusil, disposée à même le mur, verticalement et surdimensionnée. Pouvoir et domination donc, qui sont l’apanage du sexe fort. Ses grandes ainées comme Louise Bourgeois ou Annette Messager ne renieraient certainement pas la manière dont la jeune artiste l’approche: c’est avec un regard d’entomologiste que celle-ci scrute en
effet la musculation hypertrophiée des bodybuilders Jay, Ronnie, Gunter, Melvin et Gustavo.
 
Des stéréotypes de la force brute certes, mais qui font tout aussi bien penser au travail du peintre d’après modèle, en atelier. On ne peut s’empêcher de se poser la question: Marion Auburtin est-elle dans cette approche fidèle à l’exercice bien connu des beaux-arts de la peinture d’après modèle? Sans doute. Se moque-t-elle ouvertement de l’exhibition des ces muscles masculins? Bien sûr. Ou - plus subtile - éprouve-t-elle une jouissance secrète à s’attarder à reproduire en petits formats (50x65 cemtimètres) ces bosses de chair, ces veines saillantes?
 
L’exposition s’intitule en tout cas Luxe Intérieur, à savoir qu’une femme, si dans la réalité elle ne peut (et ne veut) pas rivaliser avec la vanité des certaines expressions de force des hommes, elle peut se mesurer à eux, surtout quand elle est une artiste. Tout en sachant d’ailleurs que la vanité - ce sujet lui aussi ancien en peinture - depuis que les femmes ont conquis leur place dans le domaine artistique, la concerne tout autant que les peintres (masculins) d’antan. Aussi Marion Auburtin enchâsse-t-elle une série de crânes, peints avec la précision du miniaturiste dans cinq médaillons, comme les portraits que les dames d’autrefois portaient au cou reproduisant l’être cher (Amulettes).

Une femme certainement pas plus qu’elle ne va à la chasse, ne s’adonnerait à l’exercice de la vivisection, sauf à être une scientifique. C’est donc encore une fois autrement, peut-être pour le seul plaisir de la peinture, qu’il faut regarder les entrailles minutieusement exhibées par Marion Auburtin d’un lapin, d’une souris blanche et d’une grenouille, ouverts, la peau tendue et épinglée ici, sur le fond de la toile blanche (Les écorchés). 

Ces pauvres bêtes suppliciées, aux intérieurs néanmoins chatoyants, côtoient La Collection ornithologique du Notaire la bien nommée: sur fond noir, Marion Auburtin a peint une série d’oiseaux de nuits, telle la collection d’animaux empaillés d’un chasseur ou d’un ornithologue, qu’elle encercle cette fois, comme nos grands-mères tenaient leur ouvrage de broderie dans un cadre de bois. Autre temps, autre bohneur des dames...

L’exposition se clôt sur une série de cds que Marion Auburtin a peint pour illustrer les pièces sonores de Benjamin Laurent-Aman. On y retrouve encore les animaux - oiseaux de nuit toujours, souris encore, grenouille et loup dont la tête, de par la forme même du disque est affublée d’un troisième oeil. L’ensemble s’intitule Night Zone et reflète parfaitement le point de vue de l’artiste: ambigu mais assurément pas quand au plaisir de peindre.


La sémiotique de l’objet
Nathalie Becker
Luxembourger Wort Kultur, 2009


L’artiste Marion Auburtin nous dévoile son «Luxe Intérieur».
Née en 1978, la jeune Marion Auburtin n’en est pas à son premier coup de maître sur le territoire luxembourgeois. Après sa résidence aux «sentiers rouges» et sa participation à lx5 en 2007, la voilà qui investit le centre d’art Dominique Lang avec une série assez hétéroclite d’oeuvres, placées sous le signe du «Luxe Intérieur».

L’artiste y reprend des pièces déjà présentées dans d’autres expositions ainsi que des travaux inédits. Dès l’entrée du centre d’art, nous sommes froidement accueillis par une arme pour le moins impressionnante. Il s’agit de la reproduction d’un Sig Sauer P230 SL faisant partie de sa série «Armes» peinte en 2007. Cette oeuvre élégante, froide, métallique à souhait illustre la puissance et la violence, et dénote l’intérêt de l’artiste pour des clichés de l’activité masculine qui nourrit de manière récurrente son inspiration. Ce qui nous frappe d’emblée est la précision de copiste de Marion Auburtin. Laquelle ne reproduit pas fidèlement l’objet mais une reproduction du dit-objet. Ainsi, l’arme nous apparaît sur un fond neutre blanc, isolée de son contexte, dans sa plus parfaite véracité et en cela nous trouble par son éclat métallique et par le symbole de violence qu’elle en dégage. La pénombre volontaire qui règne dans l’exposition donne ainsi une ambiance de cabinet de curiosités comme si un collectionneur monomaniaque nous y dévoilait ses trésors. 
 
Images choc
Dans un recoin de la galerie dévolu à la série des Bodybuilders, l’artiste nous place encore face à un cliché de la masculinité qui suinte de testostérone et autres hormones plus ou moins licites mais promptes à faire gonfler la musculature. Là, par le détail, elle nous fait l’inventaire des muscles et n’en néglige aucun. Du triceps au biceps en passant par les abdominaux, Marion Auburtin se livre à un véritable traité d’anatomie avec une précision chirurgicale. Pourtant affublés de prénoms pour le moins virils comme Gunter ou Gustavo, les éphèbes de l’artiste perdent cependant leur humanité malgré la précison anatomique et se muent en une sorte de machine parfaitement huilée. L’ironie est latente dans ce travail. 

L’autre pièce impressionnante de cette présentation est la munition d’arme à feu monumentale qui semble répondre par son caractère phallique aux clichés virils abordés dans les autres oeuvres. Ailleurs, l’artiste s’est attelée à la représentation animalière avec une série de 10 cds, supports des enregistrements sonores de son complice Benjamin Laurent Aman. Cependant, Marion Auburtin ne s’arrête pas à la banale représentation d’une bestiole et comme enfant, elle devait être du genre à
démonter son réveil pour découvrir comment il fonctionnait. Aujourd’hui, elle dissèque dans sa peinture seulement et fort heureusement, les animaux. Ainsi, un joli petit lapin, une souris et une grenouille nous apparaissent comme sur la paillasse d’un cours de biologie et nous révèlent leur intimité intérieur.

Ce sont des images choc, brutes mais tellement précises dans le détail que nous saisissons là toute la force de l’hypperréalisme de Marion Auburtin.

***


Une belle leçon d'anatomie
Pablo Chimienti, 2009


Deuxième exposition personnelle de la jeune Marion Auburtin (née en 1978), «Luxe intérieur» est un ensemble d'une vingtaine d'œuvres pour le moins hétéroclite et étonnant. C'est un pistolet qui accueille le visiteur. Enfin, le dessin d'un Sig Sauer P230 SL, qui donne d'ailleurs son nom à l'œuvre. Isolé dans son fond blanc immaculé, il semble flotter, hors du temps et hors du monde et ne se donne dans le détail qu'au spectateur téméraire qui ose approcher au plus près de ce symbole de violence. L'œuvre, qui ne mesure que 15 centimètres sur 21, est une survivante de l'exposition collective «Je me suis toujours dit que j'avais de grandes choses à accomplir, et je crois que vous m'en donnez l'occasion» présentée en 2007 à Montpellier.

Pièce unique dans ce «Luxe intérieur», ce Sig Sauer P230 SL donne pourtant le ton de toute cette exposition faite d'œuvres de taille réduite et
minimalistes qui représentent, de manière hyperréaliste, un objet, une personne ou un animal existant, isolé du reste du monde par ce néant blanc et infranchissable qui les sépare des bords de la toile. Une fois passé outre cet accueil armé de la part de l'artiste, le visiteur a le choix: côté cour ou côté jardin. Après tout, les différentes œuvres ne présentent pas de logique linéaire qu'elle soit temporelle ou thématique. S'il opte pour le côté cour (la droite donc) le public tombe dans une petite pièce colonisée par une série d'éphèbes bodybuildés qui prennent la pause. Jay, Ronnie, Gunter, Melvin et Gustavo se présentent sous leur meilleur jour, qui de face, qui de dos, qui de côté... et font ressortir, comme dans un concours, pectoraux, abdominaux, fessiers, biceps... L'artiste dessine ces corps avec une précision digne d'un cours d'anatomie, mais, chose qui différencie ses œuvres de la réalité, sans une goutte d'huile ou de sueur. Sa manière à elle de ne pas copier, mais de reproduire ses modèles.
 
Pied de nez à toute cette force brute, Marion Auburtin place, face à ses bodybuilders une représentation de Bambi. Seule cliché féminin, ou du moins enfantin, dans un monde volontairement masculin. L'artiste a déjà par le passé traité longuement des clichés masculins comme les véhicules customisés, les machines de musculation, les armes, la mort... Une fois passé côté jardin, dans ce monde fait de petit, voire de microscopique, une seule pièce joue, à l'inverse, de son côté colossal: une balle d'arme à feu, La Balle, haute de plus de deux mètres.
 
Le titre de l'exposition «Luxe intérieur» prend tout son sens avec les cinq Amulettes, des structures de montres à gousset qui cachent, à l'intérieur, des représentations de crânes humains. De face, de côté, trois quarts, d'en bas... La leçon d'anatomie continue. Et elle se poursuit même à l'étage supérieur. Si le rez-de-chaussée est avant tout humain, avec une petite apparition du monde animal, le premier étage propose l'exact contraire. Là, les animaux sont rois, comme dans cette étrange série, Night Zone, composée de dix CD uniques, contenant des compositions sonores de Benjamin Laurent Aman, et peints par Marion Auburtin à l'effigie de singes, d'oiseaux, de poissons...
 
Reste la série Les Écorchés avec ses trois pièces White as a Mouse, Sweet
as a Rabbit et Wet as a Frog (en français: blanc comme une souris, mignon comme un lapin et mouillé comme une grenouille). Derrière ces jolis titres se cache, en fait, toute la brutalité de l'intérieur de ces trois espèces animales. Les trois petites bêtes sont posées là, le corps largement ouvert, comme lors d'une expérience de vivisection, pour laisser apparaître avec précision le moindre petit organe. Pas vraiment beau, mais tout simplement vrai. À l'image de tout ce «Luxe intérieur».


Welcome to our Neighbourhood

Corinne Charpentier, 2008

Curieusement les sujets de Marion Auburtin sont souvent liés aux clichés de l’activité masculine: voitures, pistolets, grues que l’artiste peint avec précision dans des séries à la palette plutôt pop. On pourrait dès lors imaginer qu’il s’agit là d’une entreprise d’appropriation des clichés masculins, et s’égarer dans des considérations de genre. Marion Auburtin est peut-être simplement fascinée par les objets peints, et notamment lorsque leur apparence s’approche des carroseries, comme l’ont été avant elle de nombreux artistes minimalistes et post-pop, qui de John Chamberlain à McCracken ou Vincent Szarek, ont cultivé ostensiblement le goût de la laque brillante et de la tôle peinte. La dernière série, consacrée à une collection de munitions, nourrit cette hypothèse de manière plausible; trois tableaux figurent ainsi, sagement alignées, des munitions de toutes tailles. Traitées comme des bijoux, alignées comme des soldats, polies comme des étains, elles sont aussi des manifestations du pouvoir. Ces trois tableaux figurent ainsi une collection d’objets peints, outils de fascination et de domination, proposant ainsi assez ouvertement un parallèle avec leur devenir d’oeuvres d’art.

Deutsch Version :
Marion Auburtin Arbeitens befassen sich interessanterweise mit klischeehaften männlichen Bereichen - Autos, Pistolen - Kränen ... -, die sie anhand einer betont poppigen Farbpalette in Serien abhandelt. Man könnte demnach meinen, es ginge hier um den Versuch einer Aneignung männlicher Klischees und sich über ein bestimmtes Genre auslassen. Andererseits gilt die Faszination der Künstlerin vielleicht nur dem gemalten Objekt, besonders dann, wenn es, wie in den Arbeiten zahlreicher Künstler der Minimal Art und des Post-Pop, von John Chamberlain und John McCracken bis Vincent Szarek, einer ausgeprägten Vorliebe für glänzende Lacke und buntes Blech Vorschub leistet. Auburtins jüngste Serie unterstützt diese Hypothese: Auf drei Bildern sind Munitionen verschiedenen Typs so säuberlich aufgereiht, dass man meinen könnte, es handele sich bei diesen auf Hochglanz polierten  Objekten um Schmuckstücke statt Instrumente der Macht. Diese Bilderserie zeigt folglich eine Ansammlung von gemalten Objekten - von Werkzeugen der Faszination und Machtausübung -, die relativ direkt auf den Prozess ihrer eigenen Kunstwerdung verweisen.

Taxinomie du hasard
Anthony Freestone, 2007


Au cours d’une interview, Jean-Jacques Rullier déclarait : mon travail peut venir du sentiment très fort que j’ai eu à un certain moment de ne plus rien savoir, d’avoir perdu mes références, et du besoin de devoir tout réapprendre, en repartant littéralement à zéro1. 
On peut imaginer un tel sentiment à l’origine du travail de Marion Auburtin : une volonté taxinomique de classer le monde, qui s’affronte à l’infini des situations et des objets devant lesquels chacun se trouve plus ou moins démuni, quelque chose comme une taxinomie du hasard.
Ainsi, dans la série des Grues (2005) on est en présence de ce qui pourrait être perçu comme une vue de chantier mais on est en même temps spectateur du hasard qui a fait que les axes des grues se trouvent dessiner dans le ciel des compositions abstraites qui auraient des affinités avec le hasard des combinaisons géométriques de François Morellet. 
Même impression devant le dessin de chaises entassées (Chaises, 2003) : nulle composition voulue de la part de Marion Auburtin, seulement un enregistrement du hasard. Si ce hasard avait mené l’artiste plusieurs jours de suite dans ce local, qu’elle eût observé un nouvel agencement de chaises, nul doute qu’il eut donné lieu à un nouveau dessin. Ceci ne s’étant pas produit, il ne pouvait être question d’intervenir: la démarche est dans un premier temps contemplative. 
De même, lorsque l’artiste peint une série de pistolets (Armes, 2007), on pourrait d’abord croire que le point de vue, de côté, est choisi afin de rendre compte le plus objectivement de la forme de l’arme, ou encore que c’est un moyen d’amoindrir son caractère menaçant. On pourrait le croire, jusqu’à ce que l’on remarque qu’une des armes présente un raccourci.
Le point de vue ne résulte donc pas d’un choix de l’artiste mais de l’acte neutre du copiste qui ne fait que reprendre le plus minutieusement, le plus laborieusement possible une image préexistante, un document, qu’elle s’est elle-même imposée de copier. Là encore on note un retrait, une non-intervention, une part laissée au hasard. Mais cette arme, vue en perspective, tout en conservant l’innocence apparente de la copie, réveille
l’attention du spectateur et lui rappelle qu’il n’est pas seulement devant une collection de pistolets et de revolvers. Le sujet : une arme à feu, des cartouches (Munitions, 2007), n’est pas le fait du hasard. Même - et peut-être, surtout - si ces dernières peuvent être confondues au premier regard
avec une collection de stylos-feutres. Il est bien question ici du Pouvoir. Marion Auburtin le dit elle-même clairement dans les notes qu’elle a écrites à propos de ces séries : 
 
"Ces objets sont à la fois élégants et morbides. Ils sont beaux, puissants, possèdent des mécaniques variées et extrêmement précises. Ils font partie d’un monde obscur. Ils évoquent la violence, le désir, le pouvoir, la richesse. Chaque arme a sa famille, son histoire, son origine, sa particularité, sa rareté. Les pistolets et les revolvers sont des objets sensuels. Ils attirent les collectionneurs parce qu’ils incarnent les raisons pour lesquelles le collectionneur collectionne. Par l’accumulation d’objets numérotés datés et signés, et dans cette volonté incontrôlable de posséder toujours plus, le collectionneur évoque donc aussi ces notions de pouvoir, de désir et de recherche d’identité. Son hobby devient vite une nécessité maladive, car il demeure l’expression obsessionnelle d’une angoisse toujours plus grande face au vide."

Il se pourrait donc bien que cette volonté de réapprendre dont parlait Jean-Jacques Rullier, cette nécessité de tout reprendre à zéro, que ces parts laissées au hasard et ce retrait même, aboutissent finalement assez rapidement à très bien comprendre les choses…

1° Entretien de Jean-Jacques Rullier avec Andreas Korster publié en annexe du Catalogue de l’exposition Espaces au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1993.


Benjamin Aman, 2006
Collectionner


Marion Auburtin pratique une peinture appliquée et minutieuse. Les formats choisis sont, pour la plupart, de petite taille, la facture tendant vers un hyperréalisme dont l’aspect souvent bancal évince immédiatement tout rapport d’ambiguïté avec la photographie. Au delà de l’exercice technique laborieux mis en avant par le choix des sujets souvent complexes (voitures, résidus de poussières trouvées sur le sol, armes à feu, visages recadrés, paysages séquencés) il faut d’avantage y voir une entreprise obstinée, proche de celle du collectionneur. La collection a ceci d’ambivalent que le collectionneur cherche toujours son objet de collection, tout en étant mu par celui d’après, c’est à dire celui qu’il n’a pas encore trouvé. On pourrait considérer la collection comme une quantification de la vie du collectionneur dont la peur du vide ne pourrait être comblée que par l’idée impossible, de posséder tout. Peindre des collections d’objets, se situerait alors quelque part entre un effacement temporaire de soi-même qui passe par un oubli volontaire de tout geste excessif, et un attachement forcené qui chercherait à s’emparer de l’objet, dans toutes ses qualités. Collectionner, c’est aussi faire des choix, établir des principes, décider du commencement et de l’arrêt de sa collection. Tout en évitant le recours à l’allégorie ou à une symbolique du sujet, Marion Auburtin parvient pourtant à se situer, et ce, de manière littérale, au coeur d’une obsession sur le temps du travail, sa répétition quotidienne, son labeur et finalement l’acte même de peindre.














 

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